La loi du 11 février 2005 a permis de faire évoluer l’intégration des enfants porteurs de handicap en crèche. Mais dans la réalité du terrain, les professionnel(le)s se retrouvent vite en difficulté pour subvenir aux besoins spécifiques de ces enfants, tout en gérant la vie de groupe.
Pour autant, quand on a expérimenté la présence d’enfants à besoins particuliers dans un collectif, on sait combien cela se révèle enrichissant pour tous, enfants, familles et professionnel(le)s.
La loi du 11 février 2005 a enfin défini la notion de « handicap » et a permis une grande amélioration sociale pour les personnes impliquées, notamment pour les enfants porteurs de handicap.
Les structures petite enfance se sont ouvertes à ces enfants, dans le sens où la société doit proposer un environnement adapté, égalitaire et accessible aux personnes handicapées.
Dans l’article « Un projet d’accueil pour le jeune enfant en situation de handicap » (revue Empan, Editions Eres, publié sur CAIRN), Serge Garcia souligne que « l’accessibilité vient aussi questionner les regards et la parole au sujet du handicap, ce dont témoignent les changements de terminologie », de l’ « infirme » à l’ « handicapé », puis « enfant handicapé », « à besoins spécifiques », « porteur de handicap », « en situation de handicap »…
Cette évolution des termes montre à quel point il est difficile de se positionner. Faut-il effacer la différence, faut-il montrer sa singularité, ne pas stigmatiser, mais reconnaître ses besoins particuliers… Le même auteur rapporte d’ailleurs que, dans le monde de la petite enfance, deux thèses s’opposent tout en étant complémentaires. La première présuppose que « chaque enfant est unique et demande un accueil individualisé », l’enfant en situation de handicap comme tous les autres. La seconde souligne que « les différences ne sont pas équivalentes » et que certains enfants demandent une prise en charge particulière.
Il faut trouver le juste équilibre entre ces deux visions du handicap, d’autant que tous les enfants en situation de handicap n’ont pas les mêmes difficultés au quotidien.
En effet, on peut citer le handicap moteur, le handicap sensoriel, le handicap intellectuel, le trouble du spectre de l’autisme.
Dans la revue des Pros de la Petite Enfance, on peut lire un article sur les enfants atteints de déficience visuelle. Ces enfants sont accompagnés par une équipe pluridisciplinaire, et on constate dans cet article l’importance d’un dépistage précoce pour éviter la naissance de certains troubles associés.
Dans nos structures petite enfance, on accueille parfois des enfants avec un diagnostic. Mais le plus souvent, le dépistage se fait une fois en crèche, et on peut se retrouver confronté à des enfants présentant par exemple des troubles du comportement, sans avoir les ressources pour y faire face. Le temps d’observation des jeunes enfants en structure est donc capital. Les professionnel(le)s repèrent des signes qui peuvent être révélateurs d’un frein du développement.
Il faut alors alerter les parents, sans poser de diagnostic, puisqu’il ne s’agit alors que d’observations au sein de la crèche par le personnel et non par un médecin.
Dans l’article « Accompagner les parents d’un enfant handicapé » (Le Journal des Professionnels de l’Enfance janvier/février 2005), Danièle Valleur-Masson reprend les étapes successives de la relation des parents avec les CAMSP (Centre d’action médico-sociale précoce) et les SESSAD (Services de soins et d’éducation à domicile).
L’annonce du handicap est un moment douloureux et important, qui ne peut se faire que par un médecin. Les parents doivent alors faire le deuil de leur enfant « imaginaire ». Les professionnels ne doivent pas laisser les parents dans l’illusion, mais ils ne veulent pas non plus les heurter en les confrontant à une réalité trop compliquée à gérer. Il n’y a pas de bons mots, comme l’écrit Danièle Valleur-Masson, mais il y a une « bonne attitude ».
Les parents doivent être ensemble au moment de l’annonce, et il faut toujours proposer une aide pour l’enfant dans la foulée. Elle souligne également que « le terme de retard est trompeur et dangereux », car cela induit l’idée qu’avec de gros efforts, ce retard pourrait être rattrapé. En même temps, des progrès sont possibles avec une prise en charge adaptée.
Selon Danièle Valleur-Masson, dans un premier temps, les parents sont dans un état de sidération qui les empêche de penser un avenir pour leur enfant. Ils auront besoin d’une aide pour ne pas s’immobiliser dans leur douleur.
Dans un deuxième temps, les parents vont devoir « adopter » leur propre enfant. L’équipe du CAMSP ou du SESSAD doit être force de propositions pour le faire évoluer. Sans sous-estimer les difficultés de l’enfant, il est bon de parler de ses progrès, de ses nouvelles capacités pour rester dans une dynamique positive.
Mais les parents peuvent aussi se sentir démunis face à leur enfant. Face aux professionnel(le)s, ils peuvent avoir l’impression qu’ils sont moins capables de s’occuper de leur enfant que l’équipe du CAMSP ou SESSAD. Le rôle de l’équipe est d’aider les parents à mieux comprendre les troubles de leur enfant, mais aussi de leur montrer que l’on reconnaît leur propre capacité à s’occuper de leur enfant. L’équipe doit établir une relation de confiance avec la famille, et fera aussi le lien pour l’intégration de l’enfant dans une structure collective (crèche, halte-garderie, école…).
Les parents doivent bien sûr adhérer à l’idée de confier leur enfant quelques heures en structure. C’est la confiance réciproque qui aidera l’enfant à se séparer progressivement de sa famille, et à vivre des moments enrichissants avec d’autres adultes et des enfants. En complément du CAMSP ou du SESSAD, à visée thérapeutique, la crèche propose à l'enfant un lieu pour jouer, découvrir un nouvel environnement, avoir des interactions avec d’autres personnes, d’autres enfants.
De même, dans l’article « Accueillir la différence, le handicap » (Le Journal des Professionnels de l’Enfance novembre/décembre 2007), Monique Le Pimpec souligne l’intérêt « pour les familles déjà très éprouvées de pouvoir exercer leur profession ou de pouvoir se ressourcer comme toute autre famille ».
Les parents peuvent aussi discuter avec les professionnel(le)s, et avoir l’occasion de rencontrer d’autres parents, ce qui aide à les sortir de leur isolement.
Monique Le Pimpec rappelle que « les enfants remarquent la différence, mais ne la jugent pas ». C’est une véritable richesse également pour les enfants, pour l’équipe, et pour les familles des autres enfants, d’accueillir un enfant porteur de handicap. Les structures petite enfance sont le lieu tout indiqué pour changer le regard des autres sur le handicap, en s’ouvrant à la diversité.
Si les équipes sont motivées à accueillir un enfant porteur de handicap, les professionnel(le)s se heurtent rapidement à des difficultés et des questionnements.
Tout d’abord, les professionnel(le)s de la petite enfance peuvent se sentir insuffisamment formé(e)s.
Manque-t-il des informations sur le handicap, que doit-on dire aux familles, doit-on aménager différemment le travail, s’organiser autrement ? Comment réagir face à un enfant qui présente des troubles du comportement ?
On peut d’ailleurs se poser la question de savoir si l’enfant nécessite la présence d’une personne supplémentaire sur l’équipe. Est-on suffisamment nombreux(se) pour gérer le groupe d’enfants et un enfant qui aurait par exemple un comportement inadapté (cris, jets d’objets, violence…) ?
Il n’y a pas forcément de réponses toutes faites, car chaque enfant est différent.
On peut lire, dans le document « L’accueil du handicap dans les établissements d’accueil de la petite enfance : une mobilisation de tous et de chacun » (Empan n°93, 2014, Eres, CAIRN), une description de la mise en place d’une action d’ouverture au handicap dans les structures petite enfance au sein de la mairie de Toulouse. L’auteur indique que lorsqu’ils attribuent « un renfort à une crèche pour accueillir un enfant handicapé, ce n’est jamais sous forme d’un temps de travail attaché à l’enfant », pour ne pas l’isoler. D’autres structures font un autre choix.
Dans tous les cas, il s’avère nécessaire de renforcer l’équipe pour s’occuper de tous les enfants.
Les troubles du comportement sont les plus cités lorsqu’on discute avec des professionnel(le)s de structures diverses. Ces enfants n’ont bien souvent pas encore de diagnostic à l’âge de la crèche.
On peut citer :
Lors d’un café-famille organisé par un SESSAD spécialisé dans le TSA (trouble du spectre autistique), j’avais reçu un document où il est indiqué que ces troubles permettent à l’enfant :
En observant ce qui se passe en amont du comportement et ensuite, on peut définir les antécédents et les conséquences de ce comportement. Analyser ainsi la situation permet d’agir sur les antécédents (aménager le contexte pour prévenir l’apparition des troubles) et sur les conséquences (rendre le comportement sans objet).
Le recul apporté par l’équipe d’un SESSAD comme celui-ci souligne l’importance de travailler en lien avec des partenaires, comme les équipes pluridisciplinaires des CAMSP, des SESSAD, de la PMI (Protection maternelle et infantile)… Ce sont des interlocuteurs privilégiés, soit parce qu’ils adressent des enfants qu’ils suivent aux crèches pour une intégration à la vie collective en milieu ordinaire, soit parce que la direction d’une crèche s’adresse à eux, avec accord des parents, pour avoir un avis extérieur sur un enfant qui pose question.
Certain(e)s professionnel(le)s peuvent venir en structure petite enfance pour donner des informations pratiques. Dans ma crèche, des éducateurs et éducatrices de jeunes enfants sont venus pour accompagner une petite fille malvoyante. Ils ont pu expliquer quel matériel utiliser avec cette enfant, comment l’aider à se repérer. Un aménagement de l’escalier a ainsi été rendu possible pour elle, avec des bandes rugueuses sur chaque marche.
De même, pour être plus à l’aise dans l’accueil de ces enfants, le personnel doit avoir accès à des formations. C’est l’occasion de partager notre expérience passée avec des enfants qui posaient question sur notre pratique, et d’améliorer notre prise en charge future.
Lors d’une formation que j’ai suivie sur l’accueil et l’intégration d’un enfant porteur de handicap en établissement d’accueil de jeunes enfants, la formatrice avait notamment insisté sur le trouble du spectre de l’autisme. Elle avait proposé des aménagements possibles pour les enfants porteurs de TSA :
Evidemment, tout cela demande une entente commune dans l’équipe pour travailler tous dans le même sens.
Dans l’article du Collectif de la Mairie de Toulouse « L’accueil du handicap dans les établissements d’accueil de la petite enfance : une mobilisation de tous et de chacun », Jérôme Bonnemaison explique que l’accueil d’un enfant porteur de handicap ou présentant des troubles provoque beaucoup de questionnements au sein des équipes.
Il souligne l’importance de « mutualiser les expériences », partager les réflexions des professionnel(le)s, pour créer un référentiel, « une approche commune du handicap », transmis ensuite aux directeurs et directrices des établissements. Ce référentiel souligne entre autres l’importance de la relation de confiance avec la famille, de l’observation pour proposer des actions adaptées, et d’un accueil « personnalisé et individualisé ».
C’est finalement définir un projet d’accueil individuel pour chaque enfant, prenant en compte ses besoins spécifiques.
Ainsi aujourd’hui, la nécessité d’intégrer tous les enfants dans les structures petite enfance ne fait plus question. Cet accueil permet de favoriser un lien social, éducatif, de soutien. Il faut avant tout travailler en partenariat avec la famille, avec les structures thérapeutiques, et en équipe, pour trouver les ressources nécessaires à l’évolution de l’enfant. Le soutien d’un référentiel commun et l’accès à des formations sont essentiels pour que les professionnel(le)s se sentent soutenu(e)s dans ce projet passionnant.
Pour aller plus loin
« Quand le handicap perturbe la communication, comment favoriser les échanges ? », Les Pros de la Petite Enfance
« Comment accueillir un enfant présentant des troubles du spectre de l’autisme (TSA) ? », Les Pros de la Petite Enfance
« Accueil des tout-petits déficients visuels : l’exemple de l’IJA-asrl de Lille », Les Pros de la Petite Enfance
« Être parmi d'autres. Accueil d'un enfant porteur de handicap à la crèche », de Jocelyne Roux-Levrat, dans Spirale 2006/2 (no 38), CAIRN