La communication gestuelle associée à la parole
Depuis quelques temps, on entend parler du concept de « communication gestuelle associée à la parole ». On croise de plus en plus de professionnel(le)s témoignant de cette pratique dans leur structure petite enfance.
Depuis deux ans dans ma crèche, nous apprivoisons cette nouvelle tendance, et tentons de la mettre en pratique. Nous avons pu bénéficier de deux journées de formation sur deux ans, et nous avons été séduites par cette idée à l’unanimité. Ce n’est pas forcément évident, car nous étions alors avec les professionnelles d’une autre structure, qui n’ont pas adhéré en général. J’ai eu naturellement envie de faire le point sur cette pratique, même si je n'ai que peu de recul pour l’instant.
Je suis allée fouiller pour redécouvrir d’où vient cette fameuse communication gestuelle associée à la parole, quelle est son origine. Bien sûr j’avais envie de comprendre ses bienfaits, et répondre, pourquoi pas, aux réticences que certains pourraient avoir. Et enfin, il est toujours utile de se demander comment mettre en pratique tout cela dans nos structures petite enfance, ou en tant que parent à la maison.
Qu’est-ce que c’est, la communication gestuelle associée à la parole ?
Les origines des signes associés à la parole
Dans les années 80, un chercheur américain remarque que les enfants entendants de parents sourds (et pratiquant la Langue des signes) commencent à communiquer avec des signes dès l’âge de neuf mois. Il étend ses recherches sur de nombreuses familles, et constate que les enfants dont un au moins des parents est sourd arrivent à communiquer bien plus rapidement que les autres enfants, par les signes. Il fait donc découvrir ses investigations au grand public, et est publié en 1996 un livre sur le « Baby signs ».
En France, il faudra attendre 2006 pour prendre connaissance de ce programme. C’est Nathanaëlle Bouhier-Charles qui a rapporté cette pratique découverte aux Etats-Unis. Elle a publié Signe avec moi avec Monica Companys.
Le lien entre le geste et la parole dans le développement de l’enfant
En m’intéressant à ce sujet, je suis tombée sur un article du magazine Enfance (site de CAIRN), rédigé par Jacques Vauclair et Hélène Cochet : « La communication gestuelle : Une voie royale pour le développement du langage ».
Les chercheurs y expliquent le rôle du geste de pointage dans l’acquisition du langage chez l’enfant et dans les différentes étapes de son développement.
Le geste de pointage, ainsi que d’autres gestes, apparaissent vers l’âge de un an. L’enfant est capable de désigner des objets, dire non de la tête, dire au revoir avec la main… De même, chez l’adulte, les chercheurs soulignent que nous faisons souvent des gestes pour accompagner nos paroles, et que « langage et gestes partagent le même système de communication au niveau cérébral ». Les gestes sont donc structurants dans la communication entre l’enfant et son entourage.
Ils distinguent le pointage impératif, qui manifeste une demande auprès de l’autre, et le pointage déclaratif, où l’enfant cherche à partager l’attention de l’autre à propos d’un objet. Les enfants ont tendance à étendre l’index pour partager l’intérêt, et à montrer avec la main quand ils veulent exprimer un besoin. Il y aurait une prépondérance de la main droite pour le pointage déclaratif. Cette main droite est sous la dépendance de structures cérébrales de l’hémisphère gauche. Or le contrôle de la parole est sous la même dépendance. Communication gestuelle et communication verbale sont étroitement liées.
Cette réflexion est confirmée par la découverte des neurones-mémoires, puisque ces neurones s’activent lorsqu’on fait certains gestes, mais également quand on décrit ces gestes. De même, dans l’article des Pro de la petite enfance « Signer avec les enfants : mode ou avancée pédagogique », l’auteur s’appuie sur les neurosciences pour expliquer qu’il faut multiplier les canaux de communication pour faciliter les apprentissages et le développement de l’enfant.
En quoi consiste la communication gestuelle associée à la parole ?
A la lumière de cette lecture, il ne paraît pas étonnant de proposer cet outil aux enfants préverbaux. L’enfant s’exprime naturellement par des gestes, avec ses mains, et l’adulte verbalise la signification de ces gestes en les reproduisant. De même, l’adulte utilise énormément de gestes pour se faire comprendre, et rendre également l’interaction plus vivante et amusante.
Les signes associés à la parole sont simplement un outil qui respecte le rythme de développement de l’enfant, et va l’aider à s’exprimer plus facilement, dans ses besoins, ses ressentis… Au fur et à mesure de son évolution, l’enfant va développer sa motricité fine, et va pouvoir enrichir son « vocabulaire » de signes.
Il s’agit de proposer à l’enfant un certain nombre de signes, afin qu’il puisse expliquer facilement ce dont il a besoin ou ce qu’il ressent, avant même d’avoir les mots pour le dire. Ces signes peuvent être issus de la Langue des Signes Française, mais ils peuvent également être un peu différents.
Il convient toutefois de préciser que ce n’est pas une seconde langue qu’on apprend aux enfants, ce sont juste des signes, sans grammaire ni syntaxe. L’idée n’est pas de rendre les enfants plus intelligents qu’ils ne le sont, mais de leur faciliter l’accès à la communication. Dans tous les cas, c’est l’enfant qui va s’approprier cet outil, à son rythme, selon ses envies et ses besoins.
Bien qu’on puisse utiliser cet outil avec des enfants sourds ou porteurs d’un autre handicap, il est utilisable par tous les enfants.
Certains professionnel(le)s ou parents peuvent penser que cela va retarder leur apprentissage de la langue. Au contraire, la parole signée permet d’élargir son vocabulaire gestuel et d’accéder plus rapidement à des notions. Une fois que l’enfant maîtrise le mot, le geste s’efface de lui-même, car il n’est plus utile.
Les bienfaits de la communication gestuelle associée à la parole
Réduire le sentiment de frustration
Pro ou parent, nous sommes tous confrontés régulièrement au problème de « ne pas avoir le décodeur » quand un très jeune enfant nous parle. Quelle déception chez le petit quand il répète son propos sans succès ! Quand les enfants ont à leur disposition un certain nombre de signes pour exprimer facilement leurs besoins et désirs, on ressent tout de suite un apaisement dans les relations. La communication est plus sereine et plus équilibrée entre adulte et enfant, puisque l’adulte s’adapte au rythme de développement de l’enfant. Celui-ci maîtrise mieux ses émotions, parce qu’il les exprime. On est tout à fait là dans une approche bienveillante des tout-petits.
Renforcer la confiance en soi
De fait, il est très valorisant pour l’enfant de se sentir compris aisément par l’adulte, qui est particulièrement à l’écoute. Quand un adulte est dans une démarche de « Signes associés à la parole », il va naturellement se mettre à la hauteur de l’enfant, et être attentif à ce qu’il lui veut lui communiquer.
L’estime de soi s’en trouve renforcée, et le plaisir de la communication est manifeste. Il y a d’ailleurs un côté ludique à utiliser ces petits gestes, pour les grands et les petits, et une complicité s’installe.
Développer les capacités à communiquer
Comme je le disais précédemment, les enfants gardent le désir de maîtriser la parole. Lorsqu’un enfant utilise un geste pour exprimer son idée, l’adulte va en retour oraliser sa demande en reproduisant le geste, de manière systématique. De même, quand l’adulte fait un geste, il dit le mot en même temps. La finalité reste d’apprendre à parler, et ainsi, l’enfant est encore plus au contact du langage.
De plus, les signes sont souvent segmentés comme le sont les mots. Ainsi on fera deux fois le geste de maison pour dire « mai-son », deux fois le geste de doudou pour dire « dou-dou ». Les enfants maîtrisent ainsi de mieux en mieux les phonèmes.
Comment mettre en place la communication gestuelle associée à la parole en crèche ?
Se former en équipe
Dans une structure petite enfance, l’idéal est de pouvoir être formé en équipe à la communication gestuelle associée à la parole. En effet, cela permet de motiver les adultes à utiliser cet outil, et de les souder autour d’un projet qui est au service du développement de l’enfant.
Travailler en équipe permet d’utiliser les mêmes gestes pour les mêmes mots, afin qu’il y ait une cohérence pour les enfants. On va utiliser quotidiennement ces gestes, et ils vont faire partie de notre quotidien.
Tout le monde n’utilisera pas tous les gestes, on va sans doute en privilégier certains selon nos besoins, et l’enfant va piocher dans ce qui l’intéresse.
Ainsi l’enfant pourra exprimer :
- ses besoins bien sûr : j’ai faim, j’ai soif, changer la couche
- ses envies : encore du gâteau
- ses émotions : un câlin, je suis fatigué…
Vous trouverez ici par exemple un mémo de signes proposé par le personnel des crèches de la communauté de communes Mézenc Loire Meygal.
Ou celui-ci de l’Enfant Roi - Crèches Montessori
Laisser l’enfant s’approprier les gestes
En pratique, l’adulte utilise le geste associé au mot oralisé de manière systématique, de manière quotidienne, pour parler aux enfants. C’est ensuite à l’enfant de choisir d’utiliser ou non ces gestes. Il ne faut pas lui demander de reproduire les gestes, ni corriger son geste s’il ne le fait pas de manière précise. Certains enfants s’inventent eux-mêmes des gestes pour signifier quelque chose. L’adulte peut répéter le mot avec le geste de la crèche, mais pas lui demander de changer son geste à lui. Nous avons cette année une petite fille qui a son propre geste pour dire doudou, la communication fonctionne tout aussi bien !
Bien souvent, même les structures qui n’utilisent pas la communication gestuelle associée à la parole utilisent de nombreux gestes pour illustrer les temps de chansons et comptines. Les enfants accrochent tout de suite beaucoup plus aux chansons qu’ils peuvent suivre en faisant des gestes. On peut tout à fait associer les gestes choisis aux chansons, histoires et jeux. De mon point de vue, le fait de prendre le temps de faire les gestes permet aussi de ralentir le rythme des chansons, d’aller moins vite.
Sur le site de Audrey AnimTesMains-Com, on trouve différentes comptines signées.
Ou encore Par le signe.
Impliquer les parents
Pour les parents, cet outil peut être aussi très utile, si toutefois ils adhèrent. Il est tout aussi valorisant pour une maman ou un papa de réussir à répondre aux besoins de son enfant, que pour l’enfant de réussir à se faire comprendre.
Quand on utilise les gestes associés à la parole en crèche, on va partager aux parents nos pratiques et leur expliquer comment on travaille avec leur enfant. On peut mettre des affichages avec les signes qu’on pratique, donner des prospectus expliquant l’intérêt et les bienfaits de cet outil, ou tout simplement expliquer oralement le projet lors des transmissions. Car si l’enfant se met à signer avec son parent et que celui-ci ne comprend pas, c’est plutôt dommage ! Impliquer les parents est donc indispensable.
Cette année, nous avons bien sûr communiqué avec les parents afin qu’ils ne soient pas pris au dépourvu, bien que nous n’utilisions pas beaucoup de signes pour l’instant. Nous avions également choisi de réaliser un carnet de comptines signées pour montrer des exemples à la famille, avec certains gestes expliqués en image, et illustrées par des petites activités manuelles. Il sera donné en fin d’année, en espérant laisser un bon souvenir aux enfants de leur année de crèche !
Après deux années de pratique de la communication gestuelle associée à la parole, nous n’avons pu que en constater les bienfaits. Certains mots sont particulièrement utilisés par les enfants, comme « encore » et « doudou ». On est vraiment dans l’éducation bienveillante, où les enfants se sentent compris et écoutés, tout en utilisant un outil ludique et sans contrainte supplémentaire. Côté adulte, utiliser les signes nous rappelle de prendre le temps d’être auprès des enfants, à leur hauteur, en face d’eux pour qu’ils nous voient, et de leur parler de manière individuelle pour une meilleure communication et une meilleure prise en charge.